Accueil > Questions de fond > Le jeu : repères et controverses > Un exemple d’exploitation d’un jeu de rôle : l’analyse du jeu des acteurs (...)
jeudi 13 janvier 2011, par
Cet texte de Christine PARTOUNE est initialement paru sur le site Internet du Laboratoire de Méthodologie des Sciences géographiques (LMG) : http://www.lmg.ulg.ac.be/spip/article.php3?id_article=30
En géographie, l’intérêt des jeux de rôle est notamment de pouvoir mettre en évidence le jeu des acteurs sur un territoire donné.
Un acteur est défini comme une personne qui intervient dans le processus de gestion de l’espace, processus dans lequel il possède une autonomie d’initiative ou de réaction. L’acteur peut être une personne physique ou morale.
Au sein d’un groupe d’acteurs, on distingue :
L’acteur direct, qui agit matériellement et physiquement sur le territoire considéré ;
L’acteur indirect qui agit, de par ses choix, sur la gestion du territoire en influençant les autres acteurs directs.
On peut aussi distinguer pour un même acteur son implication au niveau professionnel et au niveau personnel.
(voir tableau dans le PDF joint à ce texte)
Vincent Piveteau 2 (de l’ENGREF) a proposé une grille de lecture intéressante pour analyser le jeu des acteurs, qu’il a appelée la matrice CAPE.
Tout comme la classification en acteurs directs et indirects, cette grille est aussi un outil d’aide à la décision pour lister les rôles intéressants à proposer.
La matrice CAPE comporte deux portes d’entrée :
le caractère interne ou externe de l’acteur par rapport au territoire considéré ;
le caractère régulateur ou non régulateur de l’acteur par rapport aux enjeux qui se posent sur le territoire.
Pour l’acteur interne, la micro région est son espace de référence (espace économique et social dominant) ; pour l’acteur externe, qui est souvent un acteur multirégional, la micro région est un espace parmi d’autres le concernant, il a donc une action sur la zone sans y résider ou participer au débat local.
Le régulateur a la volonté de préserver l’équilibre global de la zone et de maintenir son autonomie ;
Le non régulateur pousse à fond sa propre logique sur le milieu et n’a aucun projet vis-à-vis de la zone.
Le croisement de ces 2 critères permet de déterminer 4 profils d’acteurs
(voir tableau dans le PDF joint à ce texte) :
C : L’acteur collectif appartient à un groupe professionnel ou social qui a un projet commun, explicite et négocié pour la zone.
A : L’acteur arbitre a une vision globale, cherche à réguler tout en restant extérieur à la micro - région.
P : L’acteur privatif agit à titre individuel et refuse l’idée d’une action collective.
E : L’acteur extérieur agit à titre individuel et peut si nécessaire changer de territoire pour assurer son activité. Il apporte l’ouverture, le regard extérieur et l’innovation.
Ces quatre types d’acteurs sont nécessaires au système, il faut un équilibre entre eux pour la mise en place efficace d’un projet dans un territoire.
Il s’avère parfois qu’un acteur sensé être régulateur de par ses missions se retrouve plutôt non régulateur, ce qui est un indicateur d’un dysfonctionnement (exemple : un acteur, au départ arbitre, peut quitter son rôle régulateur, vu la difficulté du conflit et basculer dans la catégorie des extérieurs).
Le deuxième intérêt de la matrice est de raisonner l’importance relative de chaque classe et d’évaluer leur poids relatif dans la problématique. Cette évaluation est bien sûr purement qualitative et subjective :
le poids relatif ne se raisonne pas en nombre d’acteurs dans chaque classe mais plutôt en termes de prise de position dans la problématique ;
la place occupée par chaque acteur dépend pour partie du pouvoir officiellement légitimé qu’il détient dans la problématique, mais aussi du pouvoir que les autres acteurs acceptent de lui reconnaître (légitimation symbolique) ;
la place officielle d’un acteur est peut-être en contradiction avec la place officieuse qu’il occupe effectivement (exemple : chef d’Etat également grand propriétaire terrien, davantage soucieux des intérêts personnels qu’il peut retirer d’une négociation) : on peut donc dresser une matrice CAPE du « devant de la scène » et une matrice CAPE « derrière le rideau » ;
la perception du poids des autres a au moins autant d’importance que le poids statutaire de chacun : il est donc intéressant de distinguer les deux niveaux, afin d’apprécier le pouvoir socialement effectif de chaque acteur.
Le résultat de cette évaluation peut être visualisé en déformant la matrice CAPE.
___
1 Chargée de cours en didactique de la géographie et directrice des recherches au Laboratoire de Méthodologie des Sciences géographiques (LMG) de l’Université de Liège. Présidente de l’Institut d’Ecopédagogie.
2 Ingénieur à l’ENGREF (École nationale du génie rural, des eaux et des forêts). Auteur de Prospective et territoire : apports d’une réflexion sur le jeu. CEMAGREF éditions, 1996.