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jeudi 13 janvier 2011, par
Entretien avec Bruno CATHALA (1), réalisé par Véronique BAUDRY (2)
Vous êtes fondateur d’une société de création de jeux. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous et sur cette société ?
J’ai 47 ans. Après une formation maths/physique classique, j’ai occupé pendant 18 ans un poste d’ingénieur de recherche en sciences de matériaux dans l’industrie. En parallèle, passionné de jeux de société depuis mon enfance, je me suis mis aussi à tenter l’aventure de la création de mes jeux. Tentative couronnée de succès en 2002, avec la parution de mes 3 premiers jeux. Et puis en 2004, le spectre de la crise avec son lot de licenciements économiques a frappé mon entreprise, et j’ai fait partie de la charrette. C’est alors que j’ai créé la société Entrejeux.
Au travers d’Entrejeux, je me consacre à mon activité de création de jeux de société pour le marché des jeux que l’on peut trouver dans les boutiques spécialisées, mais aussi je propose aux entreprises et organismes de tout genre des prestations de création sur mesure, sur la base de leur cahier des charges, à des fins de communication/formation/apprentissage. Le jeu support de formation, en quelque sorte.
Quel est le principe de Enermen ?
Au niveau collectif, l’enjeu est de collaborer pour limiter ensemble les impacts des activités individuelles sur l’environnement, d’éviter de dépasser un seuil limite et de développer des espaces naturels. Cependant, chaque joueur est en permanence confronté au dilemme suivant poursuivre son développement personnel le plus rapidement possible, ce qui lui fait marquer beaucoup de points et lui donne une chance de gagner la partie... au risque de provoquer des conséquences graves pour l’environnement, et donc de perdre la partie.
Avez-vous dû faire des recherches pour construire le jeu, notamment sur les problématiques énergétiques ? Avez-vous eu le choix des sources d’énergie (les Enermen), des moyens de transformation, des services et des actions qui sont dans le jeu au final ?
Lorsque je créé un jeu sur cahier des charges pour un client, je suis le garant de la mécanique de ce jeu, du fait qu’il « tourne » bien, facilement, sans situation problématique impossible à résoudre. Je m’assure qu’il soit ludique. Par contre, le contenu pédagogique est lui garanti par le client. Je n’ai pas vocation à devenir le spécialiste de chaque sujet que je traite. En l’occurrence, c’est l’équipe de Terrawatt, alors porteuse du projet, qui m’a donné les éléments chiffrés permettant de construire ce jeu. Le choix des énergies, modes de transformation, services, et leur répartition statistique est issue de ce travail étroit entre eux et moi. En parallèle, j’ai également fait des recherches personnelles, mais plus par curiosité, par souci d’immersion, que par pure nécessité, l’équipe de Terrawatt étant vraiment compétente et passionnante sur ce sujet. Et ce projet m’aura énormément appris à titre personnel !
Pouvez-vous revenir sur l’origine de la demande pour Terrawatt ? Sur quoi portait la commande ?
Une des membres de l’équipe de Terrawatt était passionnée de jeux de société, et connaissait mes jeux. Ayant appris au travers de mon blog que je me lançais dans le domaine du jeu d’entreprise, elle m’a contacté et nous avons rapidement trouvé un accord.
Le cahier des charges était de concevoir pour une cible composée d’enfants de 8 à 15 ans, dans un cadre scolaire, en maison de quartier ou en famille, un jeu permettant d’aborder les thématiques de :
choix des énergies (renouvelables / non renouvelables)
choix de consommation
impacts environnementaux et socio-économiques.
Avec des règles accessibles et un jeu pouvant "tenir" dans une période scolaire, explication des règles comprises.
J’avais comme mission d’être le garant d’un système de jeu cohérent, intéressant et en rapport avec la thématique imposée, tandis que Terrawatt avait pour mission d’être garant du contenu scientifique du jeu.
La mécanique choisie
La thématique imposait de bien mettre en évidence la notion de chaîne : énergie primaire > moyen de transformation > service.
Et il fallait que le jeu soit simple à apprendre et évident sur le plan visuel.
Assez naturellement, c’est un jeu de pose de type dominos qui s’est imposé en rapport avec ces contraintes pédagogiques. Mais un jeu de domino « moderne », plus proche d’un jeu comme Carcassonne 3 que des dominos classiques.
Le challenge pour vous était de sensibiliser les jeunes et moins jeunes aux enjeux de la gestion des énergies. Cela vous a-t-il plu ?
Bien sûr que ce challenge m’a plu.. Tout d’abord, parce que j’adore les challenges, et ensuite, s’il ne m’avait pas plu, je n’aurai pas accepté le contrat. En effet, au travers d’Entrejeux, je fonctionne de cette façon : n’accepter que des affaires pour lesquelles j’ai un coup de cœur. Là, avec une telle thématique, si actuelle et qui le sera malheureusement de plus en plus, je ne pouvais pas ne pas m’engager sur cette voie !
La boîte de jeu porte la mention « jeu éducatif ». Selon vous, l’objectif de sensibilisation et d’éducation est-il atteint ?
C’est un peu difficile pour moi de répondre à cette question. J’ai conçu le jeu, l’ai pratiqué avec l’équipe de Terrawatt et avec des enfants de mon entourage, mais n’ai pas participé aux séances dans les écoles une fois le jeu publié. Il faudrait que ce soit les gens de terrain qui répondent à cette question.
Ce que je peux observer néanmoins autour de moi, c’est que ceux qui y ont joué l’ont fait avec plaisir et qu’ensuite, la notion de chaîne énergétique et de niveau de risque associé, est devenue une évidence.
Que pensez-vous des jeux éducatifs, des jeux pédagogiques ?
Pour moi, tous les jeux, quels qu’ils soient, sont « éducatifs » dans le sens que leur pratique contribue au développement de compétences d’analyse, de prise de décision, d’acceptation des conséquences de ces décisions, dans un espace régi par des règles communes à tous les participants. Et donc, aussi, apprentissage du respect des règles !
Enermen possède donc naturellement tous ces éléments en lui, avec la particularité de traiter de façon ludique d’un sujet fort, mais qui pourrait paraître rébarbatif s’il n’était exposé qu’au travers de données chiffrées.
Ici, le participant expérimente. Il apprend quasi à son insu ce qu’est une chaîne énergétique. Il vit la notion de risque associée. Il prend des décisions personnelles qui ont des effets sur le collectif.
Enermen est-il pour vous avant tout un jeu (où l’on prend plaisir à jouer) ou un outil de sensibilisation ?
Il est exactement les deux à la fois. Un jeu où l’on prend plaisir à jouer (enfin... je l’espère !!) et un outil de sensibilisation. Mais cette sensibilisation en sera valorisée efficacement que si l’enseignant qui anime la séance effectue une restitution avec les enfants sur l’expérience vécue. Chacun pouvant alors s’exprimer sur son vécu, sur sa compréhension, l’enseignant pouvant alors rebondir sur ces interventions pour compléter ou recadrer le discours si nécessaire.
Pour moi, un jeu pédagogique n’est qu’un outil au service d’une équipe pédagogique, et certainement pas un objet que l’on donne à un enfant pour qu’il se débrouille tout seul.
Que conseilleriez-vous à des animateurs qui veulent jouer à Enermen avec des enfants (par rapport aux messages environnementaux) ?
De commencer par faire une ou deux parties entre eux avant de lâcher le jeu en pâture aux enfants ! Il faut qu’eux-mêmes en maîtrisent bien tous les tenants et les aboutissants.
Pensez-vous que les joueurs eux-mêmes doivent avoir des pré-requis sur l’environnement et l’énergie afin de pouvoir jouer à Enermen ?
Je ne pense pas qu’Enermen nécessite des pré-requis particuliers. En effet le système de concordance de codes couleurs/icônes doit permettre à quiconque de jouer le jeu. Et d’appréhender ainsi sans même en avoir entendu parler la notion de chaîne énergétique.
Pour autant, il est évident que si la pratique du jeu fait suite à une séance scolaire traitant du sujet, la prise en main en sera néanmoins facilitée.
Le considérez-vous adapté au public mentionné sur la boîte de jeu : dès 8 ans ?
Oui. Je l’ai joué avec des enfants de cet âge.
Où trouver ce jeu ?
Ce jeu n’est absolument pas connu dans le milieu des joueurs et n’a jamais été distribué en boutique spécialisée. Il a été développé pour Terrawatt, une association suisse, et diffusé par Terrawatt uniquement au travers des écoles et ludothèques locales, de Genève.
On le trouve donc dans des catalogues de produits pédagogiques suisses comme celui de la Fondation Éducation et Développement : www.globaleducation.ch
(accès direct)
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1 Créateur de jeu, fondateur de la société Entrejeux : http://bruno-des-montagnes.over-blog.com
2 Coordinatrice éducative au GRAINE Poitou-Charentes
3 Jeu de pose de tuiles pour construire un paysage médiéval.