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jeudi 13 janvier 2011, par
Texte de Christine Partoune paru initialement sur le site du LMG
Au moment où nous nous apprêtons à concevoir une activité pédagogique, nous sommes entourés de toute une série de questions plus ou moins présentes, qui constituent chacune un champ de réflexion et d’évolution personnelle, telle que « comment rendre les élèves acteurs de leur apprentissage ? ». Les activités ludiques sont une des démarches actives proposées par le LMG dans une fiche méthodologique.
Ludus : (du latin) plaisanterie, école. Tout est dit. Ecole et activités plaisantes sont une sorte de pléonasme.
Par activités ludiques, nous entendons des activités dont le sens suscite une attitude ludique.
Autrement dit, ce n’est pas l’activité en elle-même qui définit son caractère ludique, c’est bien le sens que nous lui donnons. Ainsi, démonter et remonter un moteur peut être vécu comme quelque chose de ludique si l’enjeu n’est pas source d’angoisse. Par contre, en cas de panne dans un lieu isolé, si on ne l’a jamais fait et qu’il faut que l’engin fonctionne, c’est une situation sérieuse, plus du tout amusante.
Pour vivre une activité de manière ludique, il faut avoir été séduit par la perspective d’un enjeu, pouvoir s’y engager librement et en retirer un bénéfice hédoniste quelconque.
La notion d’enjeu est fondamentale. Il suffit d’observer la motivation des enfants pour s’en convaincre. La perspective d’une balade en forêt risque fort de ne pas les attirer sauf si elle comporte par exemple un défi (essayer de remonter le cours d’une rivière ou de repérer un oiseau rare).
Les chemins pour que surgisse l’idée d’une telle activité sont divers. Dans de bonnes dispositions créatives, on peut partir du sujet et l’imagination fera le reste. A plusieurs, c’est souvent plus riche et plus excitant. Mais ne nous leurrons pas : si on peut avoir l’impression d’inventer quelque chose de toutes pièces, c’est souvent sur la base d’une structure existant antérieurement, enfouie dans notre mémoire. C’est notre patrimoine culturel qui nous sert de réservoir inconscient.
Une autre démarche consiste à puiser dans la manne au trésor des activités ludiques de toutes sortes, des plus simples aux plus complexes (d’excellents répertoires de jeux existent) et de les "recycler" en fonction du sujet abordé, du public considéré et des objectifs poursuivis. Ne pas hésiter à consulter des ressources étrangères : par exemple, les anglosaxons ont particulièrement développé l’usage des simulations comme méthode d’apprentissage.
Dans les fiches du Laboratoire de méthodologie de la géographie de Liège, la plupart des activités sont à caractère ludique. On y retrouve notamment les ingrédients suivants :
appel à l’imaginaire et à l’imagination (évocation, expérience à vivre ou créativité) : associations insolites d’idées, d’objets ou de méthodes, simulations, métamorphose de contenus en conte ou en histoire, métaphores, productions originales, invention de solutions, anticipations et projections,...
manipulations, constructions concrètes,
énigmes, surprises, rebondissements, défis, recherches, devinettes, intrigues,…
classements,...
Toutes les activités favorisent un esprit de coopération et de plaisir partagé plutôt que la compétition et la satisfaction des uns au prix de la frustration des autres.
Avec Respect et Pudeur, pour ne pas "casser le jeu" ni l’envie de jouer à l’école.
Dans le cadre scolaire, les élèves sont peu habitués à vivre des activités de ce type. Même s’ils vivent quelque chose de fort, ils sont déroutés, ils manquent de point de repère. Leur question : "ça sert à quoi, cette activité ?" masque un malaise : celui de s’être sentis vivre quelque chose pendant un instant puis de se demander ensuite ce que le "maître du jeu" avait comme intentions, comme projet sur eux.
Ce moment est crucial, et la réponse peut être émancipatoire ou au contraire tout anéantir.
En effet, le sens profond d’une activité ludique peut être différent pour chaque participant : les enjeux (les "en jeu") peuvent être multiples puisque la personne est souvent impliquée à différents niveaux.
C’est quelque chose qu’il est fondamental de reconnaître et d’intégrer au plus haut point, à la fois au niveau des objectifs de départ et des attitudes lors du "debriefing" s’il a lieu.
Lâcher prise
En fait, c’est dès le départ qu’il convient de lâcher prise. Même si toute activité est conçue dans l’espoir "qu’il se passe quelque chose", le fait que quelque chose se passe va dépendre de la disposition intérieure de la personne, de sa disponibilité (sur laquelle nous n’avons pas de pouvoir) et ce quelque chose est intimement lié à la personnalité de chacun. Même si nous avons une idée sur ce qui est susceptible de se passer, il se peut qu’une personne vive quelque chose de très important et qui n’a rien à voir (apparemment du moins) avec nos intentions.
Il est important que les élèves entendent cela, qu’ils se sentent reconnus dans leur expérience intime, qu’elle soit valorisée en tout état de cause, même si elle n’est pas dévoilée publiquement.
Etant donné ce qui précède, l’après jeu doit être emprunt des mêmes principes que le jeu : gratuité, liberté, bénéfice personnel.
Un "debriefing" sous forme d’une mise en commun n’est pas toujours de mise. Il convient de s’interroger d’abord sur les objectifs poursuivis. Parfois, il s’agira d’un moment nécessaire à certains pour pouvoir évacuer une tension en l’exprimant. En d’autres occasions, il peut être intéressant pour le groupe de se rendre compte de la diversité des façons de vivre une même activité. Le contenu traité dans le jeu peut aussi faire l’objet d’une analyse.
En tout état de cause, proposer un partage, ne jamais l’obliger. Le fait d’être sollicité directement pour dévoiler ce qui s’est passé peut être vécu comme agressant et fermer les portes qui venaient peut-être de s’ouvrir.
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Cet article est initialement paru sur le site Internet du Laboratoire de Méthodologie des Sciences géographiques : http://www.lmg.ulg.ac.be/competences/chantier/methodo/meth_lud.html
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1 Chargée de cours en didactique de la géographie et directrice des recherches au Laboratoire de Méthodologie des Sciences géographiques (LMG) de l’Université de Liège (Belgique).
Présidente de l’Institut d’Ecopédagogie.
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Eléments bibliographiques :
LETHIERRY, H. (Se) former dans l’humour - Mûrir de rire. Editions Chronique Sociale, 1998. Réflexions de fond et exemples de mise en oeuvre en classe. Bibliographie très riche p. 78-82.
RODARI, G. Grammaire de l’imagination. Editions Rue du Monde, 1973.
TAYLOR, J. Guide de la simulation et des jeux pour l’éducation relative à l’environnement. Programme international d’éducation relative à l’environnement UNESCO - PNUE, Série éducation environnementale, 1985. Disponible en ligne.
MASHEDER, M. Jeux coopératifs pour bâtir la paix. Editions Chronique Sociale, 2005.
SEREVILLE, Chantal de. Les psychojeux. Editions LGF, 2002.
QUINET, P. Techniques de DRAMA, Ministère de la Communauté Française de Belgique.
ITECO. Jouer ensemble pour apprendre, Peuples et Libérations n° 108, 1988. 4 mises en situation sur la concurrence, le conflit, le pouvoir, l’organisation, la gestion, les échanges, la solidarité. La plupart conviennent surtout pour des adultes. Par contre, le jeu des cubes est un outil extraordinaire pour des adolescents.
LANDROIT, H. 50 jeux de langue pour l’école, Communauté française de Belgique, Service de la langue française, 1997. Extraits disponibles sur Internet.
WALFORD, R. The simplicity of simulation, in Geography Teachers’ Handbook, The Geographical Association, 1996. Contient une bibliographie intéressante.