Accueil > Questions de fond > Le jeu : repères et controverses > Le jeu fondateur de l’écocitoyenneté (Dominique COTTEREAU)
jeudi 13 janvier 2011, par
Texte de Dominique COTTEREAU (1) initialement paru dans Polypode n°4, la revue d’éducation à l’environnement en Bretagne du REEB, Printemps - été 2004.
Qui, des éducateurs à l’environnement motivés par leur travail, n’a pas joué dehors dans son enfance ? Grimper aux arbres ou aux murs, sauter par dessus le ruisseau, construire des cabanes de quelques branches, bâtir des châteaux de sable et y faire vivre des rois et des princesses, faire flotter un bateau dans l’écoulement d’eau des caniveaux...
Ces souvenirs de jeux, solitaires ou à plusieurs, hors de la vue des adultes et loin de toute préoccupation utilitaire, constituent le terreau encore fertile de l’engagement environnemental.
Je ne parlerai pas ici de l’activité ludique, proposée par des adultes qui adaptent un jeu socialement inventé et éprouvé (2) pour faire apprendre des notions scientifiques ou découvrir des éléments de l’environnement (3). Il s’agit du jeu libre, laissé à l’initiative totale de l’enfant, ces jeux qui se mènent sur le chemin de l’école ou entre 17 et 19 heures, un dimanche après-midi ou pendant les vacances, dans son quartier ou dans le jardin des grands-parents. Seule nécessité à mon propos : la richesse du lieu. En effet, pour être support d’éducation à l’environnement, le lieu dans lequel se déroule le jeu doit offrir suffisamment de matières, d’objets, de formes pour que l’enfant y puise les ingrédients de son activité : des pierres, des murets, des arbres, des bosquets, des cours d’eau, des feuilles, du sable... de quoi sauter, courir, grimper, ramasser, entasser, dériver, modeler... Les jeux qui s’y improvisent alors sont spontanés, issus d’une invitation de l’espace ou de ses éléments. L’enfant réagit à la sollicitation du milieu et du moment.
Le jeu, en ces situations, devient un véritable moment éducatif au cours duquel le milieu enseigne sa matière et ses formes à l’enfant en même temps que l’enfant soumet l’environnement à son état de développement. Dans le déroulement de l’activité, objectivement, l’enfant découvre et incorpore des textures, des sons, des odeurs, des couleurs et des formes. Il apprend à différencier les objets, à les reconnaître dans leur globalité, dans leur entité, dans ce que chaque chose et chaque être vivant ont de propres à eux. Réciproquement, et subjectivement, il projette ses pulsions et ses désirs sur un milieu qu’il cherche à apprivoiser. Un monticule peut devenir une montagne à gravir, une pierre se transforme en automobile, une plume en oiseau, un trou de terre en grotte à ours... Ces jeux peuvent être de véritables catharsis, aidant à liquider des situations péniblement vécues par l’enfant (4).
Loin d’être du temps perdu, ces moments ludiques, et extrêmement sérieux, permettent à l’enfant de découvrir le monde et la place qu’il peut prendre dans le monde. Il apprend à gérer la tension qui existe entre ce qu’il aimerait faire avec le réel (imposer ses volontés au monde) et les limites que ce réel lui impose (on ne peut pas tout faire dans la vie !). A la fois il apprend à développer ses propres capacités, affermissant ainsi sa personnalité (être capable de dire « je »), et il s’intègre aux autres et aux choses comme sujet appartenant à une collectivité plus vaste, faite de règles et de devoirs (apprendre à dire « nous »). La leçon supplémentaire qu’apportent les jeux du dehors consiste à ce que ce « nous » intègre la nature et le monde physique : je fais partie de la nature.
Cet apprentissage ne se fait pas en une fois. L’éducation est action de tous les jours, répétée et diversifiée. Un même espace doit pouvoir accueillir l’enfant de nombreuses fois avant qu’il s’imprègne de toute sa richesse. C’est dans la répétition des activités que s’effectue la véritable rencontre avec le milieu, rencontre qui va teinter le milieu d’une valeur affective assurée. Ce milieu-là jamais ne sera oublié. Il fera partie intégrante de la personnalité de l’enfant (puis de l’adulte) et l’enfant se sentira habitant du milieu, appartenant à ce territoire. Les liens tissés seront indélébiles. Même si la vie les éloigne, un son, une odeur, une image, un simple signe réveilleront ce sentiment dans toute son amplitude et sa densité... comme la petite madeleine de Proust.
Sur ces valeurs premières pourra alors se construire une éthique de l’environnement qui équilibrera les droits et les devoirs. Il faudra un autre apprentissage, celui plus formel d’une pédagogie de l’environnement qui déploie ses savoirs scientifiques et techniques afin, non seulement de sentir mais également de comprendre. Mais sans ces expériences ludiques dans le milieu toute information écologique pourrait bien rester lettre morte. C’est probablement en combinant les trois formes de savoirs qui constituent notre connaissance intime - savoirs du cœur, savoirs du corps et savoirs de l’esprit - que nous pourrons développer un savoir agir écocitoyen.
___
1 Formatrice en éducation à l’environnement.
2 Jeu de société sur table ou de plein air pour certains créés depuis la préhistoire (mais sous forme de rites, comme les rondes et les danses), pour d’autres depuis le moyen âge (par la société de noblesse, comme les jeux de table ou le colin maillard), d’autres plus récents mais que l’on peut relier à des jeux anciens (les jeux informatisés).
3 Pour ce type de jeu voir Henri Labbe, conseiller technique et pédagogique à la Direction régionale de la Jeunesse et des Sports
4 Comme c’est fréquemment le cas dans ces jeux symboliques au cours desquels, par exemple, la petite fille devient une maîtresse intransigeante, multipliant les punitions et les brimades, qui dépassent même la réalité dans leur intensité. Au travers de ce jeu, la petite fille évacue probablement peut-être une réprimande qu’elle aurait subi à l’école ou même seulement la peur d’être grondée pour un acte interdit.
5 Pour aller plus loin dans la compréhension de la construction du lien éco-logique entre un enfant et un milieu, lire de D. Cottereau, Formation entre terre et mer, alternance écoformatrice, éditions L’Harmattan, 2001