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vendredi 6 mars 2009, par
Article extrait du numéro spécial de la Lettre du GRAINE n°18 "Éducation à l’environnement pour tous et partout, tout au long de la vie"
Article de Jean-Pierre SARDIN [1]
La capture et la détention d’animaux sauvages, non domestiques, par l’homme, à des fins ludiques ou commerciales, remonte à la plus haute antiquité. Civilisations mésopotamiennes, égyptiennes, romaines, ont pratiqué cette activité, et l’analyse des raisons sociales et psychologiques pourrait faire l’objet de multiples thèses.
La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : dans une civilisation où l’accès à l’image comme à l’observation « in situ » des animaux sauvages est facilité, et alors même que la diversité biologique subit une régression de grande ampleur, pourquoi existe-t-il encore des parcs « zoologiques » ? Autrement formulée, la question pourrait être : à quoi servent les « zoos » dans la société actuelle ?
D’une part les personnes favorables à l’existence des parcs animaliers. Elles se sont parfaitement adaptées à l’évolution des mentalités et des problématiques environnementales. Pour elles, ces lieux sont nécessaires car ils permettent la sensibilisation et l’éducation à l’environnement, mais participent également à la connaissance scientifique et à la sauvegarde des espèces les plus menacées.
Pour les opposants, les arguments sont également nombreux : usage mercantile de la nature et des êtres vivants, privation de liberté, appauvrissement des populations sauvages par des réseaux commerciaux illicites, dérive du rôle pédagogique en raison des conditions de vie artificielles des animaux… La nécessité de ces espaces n’est plus d’actualité, car ils peuvent être avantageusement remplacés par les films, les sorties animées sur le terrain, les voyages naturalistes…
Dans les deux camps, les visions éducatives et scientifiques sont souvent perturbées par des considérations idéologiques et morales. Néanmoins tous les arguments sont fondés et seule leur analyse peut permettre une véritable prise de position.
C’est vrai, certains parcs ont une action réelle sur la conservation des espèces : ainsi, le zoo de San Diego, en Californie, a contribué à la sauvegarde du Condor de Californie. C’est également vrai, plusieurs sites s’orientent vers les activités pédagogiques, d’autres développent des programmes de recherche, notamment en Allemagne, autour des grands singes. Évidemment, tous les gestionnaires expliquent que ces travaux ne pourraient être menés si les moyens financiers apportés par l’activité commerciale n’existaient pas, alors que les opposants défendent l’idée que ces actions pourraient être aisément conduites dans un cadre non lucratif.
A l’inverse, c’est également vrai que le trafic d’animaux sauvages alimente des réseaux plus ou moins mafieux et constitue, en chiffre d’affaire mondial, le 3ème budget illégal après la drogue et les armes. Ainsi, en 2007 par exemple, plus de 70000 perroquets ont été capturés sans autorisation au Mexique, alors que 11 des 22 espèces de ce pays sont en danger d’extinction, et que 75% des animaux meurent avant d’être achetés. Mais les tenants des parcs soulignent que de plus en plus d’animaux détenus proviennent des élevages en captivité. Cela existe, tout en étant encore très minoritaire.
On pourrait également longuement discourir sur les conditions de détention, sur les programmes de recherche, sur les activités pédagogiques….
Il faut d’abord, je pense, intégrer le fait qu’il y a une vraie demande, et s’interroger. La plupart de nos concitoyens n’auront jamais l’occasion de rencontrer dans la nature un singe ou un éléphant. D’ailleurs, il n’est peut-être pas souhaitable que les réserves animalières subissent les inconvénients du tourisme de masse. Or les images sont insuffisantes : voir et observer en direct, mais aussi entendre, sentir, se confronter à l’existence de ces animaux est une véritable expérience, tant pour les enfants que pour de nombreux adultes. Donc, à moins de considérer que cette demande doit disparaître, ou que l’on peut y répondre autrement, nous devons la prendre en compte.
A partir de ce constat, il faut alors intégrer également les paramètres liés à la conservation de la biodiversité, au bien-être des animaux, à l’éducation. Pour faire vite, ma position personnelle est que l’existence d’un parc animalier devrait être soumise à 5 critères :
1 Les animaux détenus doivent provenir d’une reproduction réalisée en captivité, ou de populations excédentaires dans certaines réserves contrôlées. Exceptionnellement (programmes de sauvegarde d’espèces menacées d’extinction) cette règle peut être levée, mais la présentation au public dépend alors de critères particuliers.
2 Leurs conditions de vie doivent être les plus proches possibles des conditions naturelles, pour que leur cycle biologique puisse s’accomplir de la façon la plus complète : espace vital, ressources alimentaires, capacité de reproduction, et cela est particulièrement vrai pour les espèces sociales, dont les relations intraspécifiques doivent être préservées.
3 Un parc doit développer au moins une activité en faveur de l’environnement : recherche, éducation, sauvegarde d’espèce. Dans le domaine pédagogique, là encore, un certain nombre de règles doivent être appliquées, en particulier le respect des animaux, le développement des facultés d’observation et de questionnement par le public, l’adaptation aux autres critères. En aucun cas, un parc animalier ne peut être un parc « d’attractions ». Comment inciter au respect d’êtres vivants présentés comme des jouets ?
4 Ses activités ne peuvent être isolées : chaque établissement doit être en lien et participer activement à un réseau, avec des partenaires compétents dans le domaine d’activité qu’il développe (autres parcs, associations environnementales et éducatives, organismes de recherche….)
5 La gestion d’un parc animalier doit être transparente, et sous contrôle, tant dans le domaine d’obtention des animaux que dans celui de ses activités. Son fonctionnement doit obéir aux règles du développement durable.
La faune sauvage ne peut être esclave d’humains sans doute souvent passionnés, mais sans considération pour les enjeux de conservation, à fortiori d’individus qui considèrent les êtres vivants comme une simple marchandise. D’autre part, les environnementalistes ne doivent pas se tromper de combat : la biodiversité est avant tout menacée par les activités économiques agricoles, industrielles, par la diminution de ses espaces vitaux, par le réchauffement climatique, par la chasse et le commerce illégaux. Ces causes suffisent déjà largement à consommer l’énergie des militants. Toutefois, tout le monde aura à gagner de la disparition des structures qui présentent au public des animaux sans répondre aux critères ci-dessus évoqués.
[1] Professeur agrégé de Sciences de la vie et de la terre, adhérent du GRAINE Poitou-Charentes, président de l’Ifrée, vice-président de Charente Nature, membre du Conseil National de Protection de la Nature