Accueil > Questions de fond > Le partenariat > A propos du partenariat
lundi 26 mai 2003, par
Intervention de Yannick Bruxelle au Congrès Ecole et Nature, 26 mars 1999. Texte initialement paru dans la Lettre du GRAINE n° spécial de juin 1999 : à propos du partenariat.
En guise d’introduction, je soulignerai simplement la modernité de ce mot, utilisé pour la première fois en France dans les années 68 ( on parle alors de « partenaires sociaux » dans le cadre des accords de Grenelle), et apparu dans notre dictionnaire seulement en 1987. Auparavant on parlait de collaboration.
1. LE PARTENARIAT « VISUALISE »
2. LE PARTENARIAT , ENTRE PEUR ET DESIR
3. « ENTRER EN PARTENARIAT »
4. IL VAUT MIEUX SAVOIR DE QUEL PARTENARIAT ON PARLE . . .
5. VERS PLUS DE PARTENARIAT DE RECIPROCITE.
6. ET DEMAIN . . . ?
Nous allons utiliser l’approche systémique ( BERTALANFLY-1973 ) en tant qu’outil de compréhension. Cette conception intellectuelle théorique, va nous permettre de concrétiser ce que nous allons appeler le « système partenarial ».
Considérons les systèmes qui nous concernent aujourd’hui ; ce sont des institutions ( relevant par exemple de ministères ), des structures, des entreprises ou des associations. Chacun de ces systèmes est organisé de façon complexe ( nombreux flux internes ) et caractérisé par son identité ( les valeurs qu’il défend ), par sa culture et par ses objectifs. Il est composé d’éléments ( des acteurs ), possède des frontières ( les interfaces avec son environnement ), un centre de gravité ( correspondant à son état d’équilibre ) et un pilote.
Pensons maintenant à deux systèmes, ils peuvent :
être éloignés et indépendants (chacun s’exprime en disant « je »).
se rapprocher jusqu’à devenir tangentiels ( dans ce cas, ils cohabitent mais n’ont pas d’interactions ).
se recouvrir partiellement, c’est-à-dire présenter des interfaces donc avoir un minimum d’interactions ( actions à double sens ).
se recouvrir largement, dans ce cas la zone commune est importante et le « nous » prend une grande importance.Chaque système devra alors trouver des ajustements de façon à modifier partiellement sa nature son identité et ses comportements ; il y aura donc adaptation.
se recouvrir en totalité, dans ce cas les deux centres de gravité sont confondus et on parle de fusion.
Ce schéma peut s’appliquer aussi bien à un couple de personnes qu’à un partenariat entre deux structures ou à une relation entre politiciens.
Si nous imaginons maintenant le cas d’un multipartenariat, c’est à dire un partenariat impliquant de nombreux systèmes, nous introduisons de la complexité dans notre raisonnement.
En réfléchissant sur la base des mêmes schémas que précédemment, nous obtenons une représentation aux allures de fleur dont les pétales sont les différents systèmes et dont les interfaces et le cœur représentent le projet partenarial commun qui justifie tous ces rapprochements et provoque un nombre important de flux d’informations. Les contours de la fleur définissent les frontières du nouveau « système partenarial », et son cœur le nouveau centre de gravité commun.
Cet artifice de visualisation du partenariat va être notre support de réflexion pour les deux parties suivantes de mon exposé à savoir : « le partenariat, entre peur et désir » et « rentrer en partenariat ».
Un problème de « point de vue ».
Le schéma nous permet de réaliser ce que chacun peut voir du système partenarial selon l’endroit où il est placé. On comprendra aisément que , pour chacun , des zones d’ombre existent et que personne ne peut prétendre avoir une vision globale du nouveau système. Par contre, il est facile de percevoir que tout ira mieux si les acteurs acceptent de changer de point de vue ( nous parlerons tout à l’heure de décentration ).
La diversité étant par chance une règle dans notre monde ,certains partenaires ( institutions ou acteurs ), par peur, chercheront à résister au changement et resteront porteurs uniquement des projets de leur institution, tandis que d’autres , par désir de nouveauté, iront aux marges de leur système et deviendront ce que l’on appelle des « acteurs-frontières ».
Il pourrait être tentant de penser que les systèmes gros et complexes ( l’éducation nationale par exemple ) ont davantage de résistance au changement que des systèmes plus petits et plus simples ( une association par exemple ). En fait, ce n’est pas si simple car tout dépendra de l’inertie du système ( et là, l’éducation nationale est forcément gagnante ) mais aussi de la variété des éléments qui le constituent, de la conviction et de l’ouverture d’esprit de ses acteurs ( et là, j’ai envie de dire que cela dépend des associations ).
La théorie des cinq pouvoirs.( L.GOFFIN.1997)
Selon l’auteur, la structure et le fonctionnement de notre système sociétal s’organisent en fonction de cinq pouvoirs : le pouvoir public ( celui qui gère nos écoles par exemple ), le pouvoir économique ( toutes les activités industrielles, agricoles, commerciales, artisanales, de services et de loisirs ) , le pouvoir associatif (qui assume de nombreuses activités, souvent à titre bénévole et avec peu de moyens ) , le pouvoir médiatique ( qui a une fonction de relais ) et le pouvoir scientifique ( non celui des experts qui savent, précise-t-il, mais celui de chercheurs rigoureux et honnêtes, dans un domaine complexe, incertain, conflictuel ). Chacun de ces pouvoirs développe ses propres logiques et ses propres stratégies.
Mais, ces pouvoirs ayant un poids social inégal, il y aura forcément au moment de franchir le pas du partenariat, peur pour certains de perdre leurs prérogatives voire leur hégémonie mais aussi, pour les autres, peur d’être absorbés dans une relation de dépendance.
Le désir ne pourra l’emporter que si les motivations individuelles sont suffisamment fortes pour qu’il y ait engagement dans une action collective. Par exemple un militantisme pour une nouvelle forme de société plus équitable peut émerger et réunir des acteurs appartenant à ces différents pouvoirs.
Le degré d’implication des acteurs.
Pour en expliquer les différences, nous nous appuierons sur la théorie des trois scènes chère à Roland FONTENEAU. Chacun d’entre nous dans sa vie évolue sur trois scènes différentes : la scène familiale, la scène professionnelle et la scène occupationnelle ( nos loisirs par exemple ). Ces trois scènes se recouvrent partiellement et présentent donc des espaces interfaces qui laissent à chacun le choix ( ou le non-choix ) de se situer à un endroit ou à un autre de ces scènes. Selon les moments de la vie, notre position sur ces scènes change et notre liberté de choix change aussi.
Tous ceux qui l’ont expérimenté savent bien que la pratique du partenariat est dévoreuse de ce temps que nous avons toujours peur de perdre, mais aussi source de plaisir et donc de désir.
Le goût du risque.
La pratique du partenariat peut constituer une réelle prise de risque aussi bien pour les institutions que pour les individus. L’institution va devoir ouvrir ses frontières et donc permettre des modifications de son identité, tandis que les acteurs du partenariat risquent de se trouver en situation inconfortable et déstabilisante ( perdre son statut, ses habitudes, ne pas avoir forcément de reconnaissance institutionnelle, s’opposer aux autres acteurs de son système…). Là encore, des choix seront à faire, entre peur et désir !
Nous allons maintenant chercher à repérer quelques attitudes ( institutionnelles et individuelles ) qui semblent indispensables avant d’ entrer dans un projet partenarial.
Faire l’hypothèse que la collaboration s’inscrit dans la perspective d’une recherche de qualité.
Accepter de passer du statut de système au statut de « sous-système », en d’autres mots accepter l’humilité de n’être « que » partenaire.
Etre capable de se décentrer et de s’adapter.
Reconnaître que sa compétence n’est pas absolue mais qu’elle est relative au projet et se construit en interaction avec les autres partenaires.
Accepter d’être jugé, d’être co-évalué.
Reconnaître l’identité des autres, respecter leur culture et faire preuve de parité d’estime quel que soit le poids du partenaire.
Selon les auteurs, on peut trouver différentes terminologies et différents types de classements, qui par ailleurs peuvent très bien se croiser.
En fonction du niveau d’action.
Ainsi, Roland FONTENEAU parle de « partenariat interne »lorsqu’il qualifie les interrelations au sein d’un système ( c’est par exemple l’interdisciplinarité dans l’éducation nationale ), et de « partenariat externe » lorsqu’il y a ouverture sur d’autres systèmes ( ouverture de l’école à des partenaires extérieurs ).
En fonction du lieu d’origine.
Roland FONTENEAU distingue :
le « partenariat à caractère étatique », qui est un partenariat obligé et décrété, de dynamique descendante et plus ou moins imposé aux acteurs de terrain selon une logique sociétale qui cherche à introduire de la cohérence dans des actions reconnues d’utilité publique.
C’est le cas, par exemple, du partenariat interministériel qui par une initiative centralisée a mis en place l’opération Mille défis pour ma planète ; les ministères donnant un cadre qui autorise voire favorise les actions.
le « partenariat d’initiative locale », qui émerge à partir d’un besoin auquel des acteurs locaux tentent de trouver une réponse. La dynamique peut être montante, c’est ce qui s’est passé par exemple pour les Restos du Cœur qui sont nés d’initiatives locales mais ont fait remonter les besoins vers les institutions.
Michel CROZIER (1979) écrit que « le partenariat ne peut se décréter » pour insister sur le rôle essentiel des acteurs, toutefois on peut considérer qu’il peut y avoir convergence entre ces deux types de partenariat et qu’un équilibre est à trouver permettant la définition de cadres d’actions qui n’engonceraient pas les acteurs dans trop de contraintes. On pourrait alors parler d’une nouvelle forme de démocratie de proximité qui impliquerait les acteurs de tous les niveaux.
En fonction du type de relation.
C’est Louis GOFFIN qui utilise ce classement ; il parle de :
« partenariat de service », lorsqu’il s’agit de travailler pour plutôt qu’avec un partenaire. Dans ce cas , il y a un commanditaire et un prestataire de service dans le cadre d’une sous-traitance . Cette situation exige d’être clairement affichée et on parlera alors plutôt d’intervenant que de partenaire.
« partenariat d’opportunité », lorsque l’un des partenaires fournit à l’autre ce dont il a besoin. Dans ce cas la relation est inégalitaire et pose, me semble-t-il des problèmes importants au niveau de l’éthique. C’est par exemple lorsque des écoles jouent uniquement le rôle de « public-cible » soit pour faire passer des idées ( message ou pire, endoctrinement visant même parfois les parents via les enfants ), soit pour simple raison économique ( ventes de séjours clés en main sans souci pédagogique ). Ce type de dérives du partenariat ( selon moi ), est illustré aussi par Daniel BACHET ( 1988 ) qui décrit dans l’ouvrage « la société de partenariat » , l’exemple d’un « partenariat alibi » qu’il appelle la stratégie du grain de sable. Cela consiste, dans le cadre d’une entreprise, à concéder aux travailleurs un pouvoir individuel d’autant plus important que les enjeux réels sont mineurs tandis que les choix réels appartiennent à un groupe restreint de décideurs.
« partenariat de réciprocité », lorsque tous les partenaires cheminent réellement ensemble du début du projet à son évaluation, lorsque toutes les compétences sont prises en compte et jugées complémentaires, lorsque la relation est horizontale , sans assujettissement et sans prise de pouvoir.( si la relation devenait verticale, on ne parlerait plus de partenariat mais de parrainage voire de mentoring ).
Pour nous, c’est le seul cas où les acteurs s’inscrivent réellement dans la dynamique partenariale et méritent vraiment le nom de partenaires.
Nous allons essayer maintenant de voir quelles sont les conditions susceptibles de favoriser ce « vrai » partenariat, en d’autres mots, comment mettre toutes les chances de son côté pour que « ça marche ».
Au niveau des attitudes des acteurs, Roland FONTENEAU parle de « posture partenariale » et Louis GOFFIN utilise la très jolie formule « d’attention particulière ». Ces deux expressions mettent l’accent sur l’importance des qualités humaines des acteurs, la nécessaire prise en compte de l’autre dont les différences sont alors perçues comme des richesses, une certaine générosité et une parité d’estime. Ainsi le partenariat de réciprocité ne peut accepter aucun impérialisme de la part d’un partenaire. Il se traduit par un esprit de convivialité et de respect mutuel.
La construction du projet partenarial ne peut que s’appuyer sur une convergence d’intérêts, et il est important de vérifier avant qu’il n’y a pas de dissonance majeure. Lors d’une première réunion, chaque partenaire devra d’abord exprimer clairement ses objectifs, les raisons et la nature de son engagement puis le groupe entrera en phase de négociation c’est-à-dire qu’il cherchera à trouver des points de croisement entre les objectifs. Cette phase nécessite donc qu’on lui consacre suffisamment de temps, car il est indispensable de veiller à ce que chacun y retrouve son compte. Cette clarification est capitale pour l’avenir du projet et tous les auteurs soulignent l’importance de la rédaction d’un texte écrit, voire même signé de l’ensemble des partenaires. Au delà d’un papier pouvant porter le nom de « convention de partenariat », c’est le projet qui est né et a pris forme.
Les conditions du partenariat ont tout intérêt aussi à être très claires dès le départ : quelle est la part de chacun dans le projet ?, de quelle nature seront les apports de chacun ?( humain, matériel, financier, documentaire, logistique…), quel sera l’engagement en temps ?,quelles seront les conditions financières ?.
Le déroulement du projet nécessite des réunions de concertation, dans ce cadre, un coordinateur devra être désigné, il sera le pilote du nouveau système partenarial ( il assumera les tâches matérielles d’invitation aux réunions, de rédaction des comptes-rendus soumis à tous pour relecture avant validation…) tout en veillant à ne pas occulter le travail coopératif ; il sera aussi en cas de problème le garant éthique du projet tout en en permettant l’évolution en cas de besoin. La façon de vivre ces réunions est très importante, le choix d’un lieu suffisamment neutre pour leur déroulement, la répartition des temps de parole, la qualité d’écoute, la mise en œuvre d’une démarche concertée distinguant bien le programme, les actions et les activités.
Une évaluation collective du projet va aussi dans ce sens de la clarté nécessaire au partenariat. Au cours du projet notamment elle peut prendre la forme d’une analyse des pratiques amenant à porter un regard critique et constructif sur ce qu’on a fait. Elle joue un rôle important aussi dans la valorisation du travail accompli et permet l’expression des satisfactions que chacun a pu tirer de cette situation partenariale ( rupture avec la routine, réalisation de soi,…). Des indicateurs de réussite peuvent être élaborés par le groupe afin de voir si la mise en place de ces pratiques a amené chacun au delà de ce qu’il faisait auparavant et si l’action commune est différente de ce que chacun des partenaires pouvait s’en faire au départ ce qui permettrait de vérifier l’hypothèse de l’efficacité du partenariat.
Nous partirons de l’hypothèse que le partenariat est susceptible d’apporter de profondes modifications :
Au niveau des acteurs du partenariat, par des pratiques nouvelles nécessitant davantage de solidarité et de respect mais demandant aussi à chacun de faire preuve d’esprit d’initiative et de responsabilité. Il s’agit donc bien de valeurs qui seraient développées dans ce contexte innovant.
Au niveau des sujets traités, notamment pour des thèmes complexes comme ceux de l’environnement le bénéfice de la multiplicité des points de vue pour tendre vers une compréhension globale semble évident.
Au niveau du public concerné, puisque nous nous situons dans le contexte d’une éducation à l’environnement, on peut espérer que le vécu de projets partenariaux amène chacun à mieux percevoir le monde, à développer un esprit critique, à se positionner et à agir en un mot à être plus citoyen.
Au niveau du système social et notamment des institutions, on peut espérer que l’épanouissement de ces pratiques amène une profonde évolution culturelle et idéologique s’inscrivant dans une nouvelle logique sociale.
Plusieurs auteurs se sont exprimés en ce sens :
« Aucune institution ne peut entrer en partenariat sans ses acteurs frontières qui acceptent de prendre le risque de jouer à la frontière de leurs organisations. » Gaston PINEAU- 1980
« Petit à petit, ces nouveaux modes de fonctionnement viendront enrichir la culture de l’organisation qui se transformera. A condition que ces expériences soient analysées objectivement et qu’ensuite l’information circule dans tout le système. » J. MELESE- 1979
« Des actions de partenariat ont pu contribuer à l’évolution des programmes scolaires, à la rénovation des méthodes pédagogiques. » Robert LARUE- 1993
« Les actions inter-institutionnelles passent nécessairement par une phase de désordre. » R . BOUDON- 1984
« Tôt ou tard, le partenariat introduit de la variété dans les sous-systèmes concernés et celle-ci sera intégrée en fonction de l’inertie institutionnelle. » Roland FONTENEAU- 1990
« Chacun découvre l’arithmétique du partenariat : 1 + 1 = 3
/…/ La notion de maillage, de tricotage, de réseautique est au cœur de cette revitalisation. On est en train d’inventer la société de partenariat » Pierre DOMMERGUES-1988
Le réseau Ecole et Nature est depuis longtemps engagé dans cette dynamique partenariale, beaucoup d’entre-nous font partie de ces acteurs-frontières, notre charte rédigée collectivement est significative de notre partenariat interne et son premier chapitre intitulé « participer à la construction de notre monde- une société de projets pour un projet de société » va bien dans le sens de l’épanouissement d’un partenariat externe.
Dans un écrit récent ( 1996) Roland FONTENEAU fait toutefois une mise en garde : « Le réseau peut initier un partenariat dans le cas où le projet de ses membres s’intègre dans un projet de société, mais il peut aussi aller à l’encontre de la logique sociétale pour protéger les bénéfices voire les privilèges de ses membres . »
Nos orientations actuelles, tout particulièrement dans le cadre du projet des assises nationales et de l’évènement Planet’ERE II , me portent à penser que nous continuons à aller dans le bon sens.
4 Messages