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jeudi 10 février 2005, par
I - Repères historiques - Concept - Démarche
Les années soixante - dix :
En 1968 des personnalités de milieux divers (recteur d’université allemande, directeur de l’organisation de coopération et de développement économique, vice-président d’Olivetti, conseiller du gouvernement japonais, ...) mettent en avant la nécessité d’essayer de cerner les limites de la croissance au niveau mondial. Ils créent le Club de Rome et confient ce travail à une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology. La même année, les Nations Unies décident d’organiser quatre ans plus tard, en 1972 à Stockholm, une conférence internationale sur l’homme et son milieu.
En mars 1972, le Club de Rome publie le rapport “The limits to Growth” ; titre traduit en français par « Halte à la croissance ». Le diagnostic est clair : la poursuite de la croissance économique mondiale est socialement et écologiquement insoutenable. Dans le contexte occidental des « Trente glorieuses » (1945-1975), période de plus forte croissance de l’humanité où est mise en place une protection sociale assurant en partie la redistribution, il est qualifié de rapport sombrant dans le catastrophisme. Il est rejeté par les défenseurs de la croissance économique, du développement industriel et d’un aménagement du territoire par les infrastructures. La métaphore portuaire de l’époque avance : « Quand l’eau monte, tous les bateaux montent ! ».
A Stockholm, les travaux de la conférence officielle proposent un plan de lutte contre les pollutions et pour une protection de la nature. Ils suggèrent un plan d’action contre le sous-développement et posent la question de l’utilisation judicieuse des ressources humaines et naturelles. Naît alors l’idée d’un éco-développement confronté aux relations conflictuelles entre environnement et développement.
Un des principes de la déclaration de Stockholm énonce :
« L’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être ».
Inspirés par les images de la fragilité de notre “Planète bleue” recueillies grâce à la conquête spatiale et sensibilisés par les premières grandes catastrophes technologiques certains font émerger une pensée écologisée formalisant l’idée d’humanité responsable. En parallèle à la conférence, des milliers de jeunes ajoutent au slogan officiel « Une seule Terre » le fondamental « Un seul Peuple ».
Ainsi se met en place une première représentation de ce qui va devenir le développement soutenable. Dans la suite de notre propos nous utiliserons pour le caractériser la métaphore de la maison commune. Comme toute métaphore, elle est réductrice mais respecte au moins l’idée de système ouvert.
Comme dans une maison les forces qui s’exercent sont renvoyées aux fondations.
L’éco-développement est fondé sur la responsabilité.
Les années quatre - vingt :
En 1983, dans la continuité de Stockholm, sur proposition de l’assemblée générale des Nations Unies, la commission mondiale sur l’environnement et le développement est créée. Madame Brundtland et le docteur Khalid dirigent ses travaux. Dix neuf autres commissaires sont recrutés. Au total six proviennent des pays riches occidentaux, trois des pays de l’Est et douze de pays en voie de développement.
En 1987, la commission fait paraître le rapport « Notre avenir à tous ». Celui-ci met en avant la nécessité de gérer les ressources de manière à assurer un progrès durable et à garantir la survie de l’humanité. En outre, dans le droit fil des travaux du Club de Rome, il remet en cause l’idée d’une croissance illimitée.
C’est le temps du « plus n’est pas égal à mieux » et du débat sur la remise en cause des méthodes d’élaboration du P.I.B. (produit intérieur brut) bien incapable de rendre compte des atteintes à l’environnement et de l’usage social des richesses produites. Il est vrai que nous sommes en crise, les « Trente Glorieuses » sont un souvenir qui fonde la nostalgie des temps meilleurs. La métaphore portuaire met en avant que dans les ports, si l’eau est bien montée ... certains bateaux ont coulé.
Dans ce rapport, le développement soutenable est défini comme
« un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Deux idées précisent cette notion :
quand nous parlons de besoins, il s’agit bien des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité,
l’idée que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose des limitations à la capacité de l’environnement de répondre aux besoins actuels et à venir.
Le rapport construit autour d’entrées thématiques (les enjeux) met en avant les problèmes communs aux pays développés et aux pays en voie de développement.
Il préconise une réforme afin de gérer le patrimoine commun et des mesures institutionnelles et juridiques prises au niveau international et relayées par les Etats.
Les années quatre - vingt - dix :
En 1992, à Rio de Janeiro, au cours de la deuxième conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, la négociation concerne l’élargissement de la question des Droits de l’Homme à celle des devoirs à l’égard des générations futures et à l’égard des autres espèces et de la nature. En amont, sous l’influence d’une exigence plus forte de l’implication des citoyens, de nombreux gouvernements ont intégré des organisations non gouvernementales au sein des comités de préparation. Pendant la conférence, plus de 15000 représentants de ces associations font pression sur les délégations officielles et trouvent des relais auprès des médias.
Ce sommet Nord-Sud pose le principe de l’égalité entre tous les hommes dans la jouissance de l’environnement.
Le principe 1 de la déclaration de Rio énonce : « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».
L’approche est qualitative. C’est le développement optimum de chaque personne qui est visé. Ainsi l’idée de croissance est-elle interrogée. Allons-nous lui donner une dimension humaine qui transcende l’économie et la technologie ?
Les travaux du Sommet Mondial débouchent sur la rédaction de l’AGENDA 21 (21 pour XXIème siècle), programme organisé en quarante chapitres, adopté par 173 nations dont la France. Celui-ci constitue un plan global d’action reposant sur l’idée que l’humanité est à un tournant de son histoire.
Le préambule du document précise les enjeux : « Nous ne pouvons continuer avec les politiques actuelles qui perpétuent l’écart économique dans les pays et entre eux, qui augmentent la pauvreté, la faim, la maladie et l’analphabétisme dans le monde et qui causent la détérioration continue des écosystèmes dont nous dépendons pour survivre sur terre ».
Au cœur de cet énorme chantier et de ses diverses déclinaisons
(les 27 principes de la déclaration sur l’environnement et le développement, déclarations sur la forêt et la désertification, conventions sur la biodiversité et le climat), le chapitre 28 de l‘agenda 21 met en valeur le rôle des collectivités locales qui « jouent, au niveau administratif le plus proche de la population, un rôle essentiel dans l’éducation, la mobilisation et la prise en compte des vues du public en faveur d’un développement durable... » et qui « devraient instaurer un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les entreprises privées...La concertation et la recherche d’un consensus permettraient aux collectivités locales de s’instruire au contact des habitants... et d’obtenir l’information nécessaire à l’élaboration des stratégies les plus appropriées ». L’application du principe de participation permet d’ancrer de nouvelles pratiques dans des réalités diverses ; de contextualiser le développement durable.
Par sa signature, chaque Etat s’engage à mettre en œuvre des politiques incitatives visant à la création d’Agendas 21 locaux sur son territoire. La conférence terminée, l’attente est grande de voir chaque Agenda 21 local donner lieu aux applications concrètes les plus larges. Espérance et enthousiasme caractérisent les travaux de Rio.
Le schéma au centre de la maison « foyer de l’humanité » exprime l’idée d’interdépendance entre les dimensions de l’environnement - du social et du culturel - de l’économie. Chaque composante est pleine des deux autres. Il ne suffit pas d’additionner les différentes dimensions ou de les mettre en relation, mais bien de les interroger de manière transversale afin que les réponses se complètent les unes les autres. Si le développement durable est bien un concept, c’est aussi une démarche. Fondée sur le couple « responsabilité - participation », elle incite à créer de nouvelles manières de nous interroger pour faire face à nos problèmes communs. Démarche de progrès, elle nécessite des procédures d’évaluation à l’aide de critères et d’indicateurs propres à nous accompagner pour « aller vers » un monde vivable, viable et équitable.
Deux - mille - deux :
Dix ans après Rio, l’espérance et l’enthousiasme se sont érodés. Le Sommet de la Terre de Johannesburg s’est préparé dans un climat très pessimiste. Les travaux de la fin de l’été 2002 n’ont pas été à la hauteur des enjeux.
Les bilans dressés à cette occasion ont mis en évidence le peu de progrès réalisés sur les chantiers ouverts en 1992. Le préambule de Rio pourrait être repris en l’état : « Nous ne pouvons continuer avec les politiques actuelles qui perpétuent l’écart économique dans les pays et entre eux, qui augmentent la pauvreté, la faim, la maladie et l’analphabétisme dans le monde et qui causent la détérioration continue des écosystèmes dont nous dépendons pour survivre sur terre ». Une littérature abondante converge vers l’idée d’urgence. Les travaux du Club de Rome, de Stockholm, du rapport Brundtland, de Rio et de Johannesburg (pour ne prendre que les repères historiques de ce texte) l’ont tous déclinée. Nous aimons tellement nous faire peur !
La position des « pays pauvres » exigeant la prise en compte de la question de leur développement comme préalable aux discussions sur les problèmes d’environnement a mis en lumière l’importance de la prise en compte des intérêts contradictoires et ceci à toutes les échelles de territoire.
La négociation devient permanente :
-* entre les pays du sud, entre les pays du nord, entre les pays du sud et les pays du nord,
-* entre les intérêts de l’économique, de l’environnemental et du social - culturel,
-* entre les différentes formes de solidarité (entre les territoires, entre les générations, entre les activités marchandes et les activités non marchandes, avec les générations futures),
-* entre les différentes conceptions de la gouvernance.
Le bilan des collectivités locales a mis en évidence de réelles avancées mais également la lenteur de la mise en œuvre d’Agendas 21 locaux.
Dans le monde, deux mille autorités locales se sont engagées dans cette démarche. Les collectivités engagées en Suède, en Hollande, en Finlande, en Norvège, au Danemark, en Grande Bretagne et en Allemagne représentent plus de 60% de l’ensemble des collectivités locales porteuses d’un Agenda 21 local en Europe. En France, il a fallu attendre les deux appels à projets lancés par le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement en 1997 et 2000 pour voir naître une cinquantaine de projets. Cette très faible implication s’est trouvée en contradiction avec la force du discours de Jacques Chirac. Ce texte est devenu depuis 2002 une référence abondamment utilisée. La France est spécialiste du décalage entre les intentions annoncées et les prises de décisions concrètes.
La forte implication des entreprises, très largement médiatisée, a été diversement interprétée. Si des doutes légitimes ont visé le phénomène « affichage et publicité », il est incontestable qu’un changement culturel est en cours. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises a bien été abordée et les propos de Milton Friedman tenus en 1970 : « L’unique responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits » sont sans doute en train de perdre leur caractère de bible économique.
Et maintenant :
Ces constats nous incitent à faire nôtre la phrase de Gramsci (philosophe et homme politique italien) : « Le pessimisme de l’intelligence ne doit jamais désarmer l’optimisme du cœur et de la volonté ».
Le développement durable est devenu un objet dont les personnes et les groupes organisés se saisissent ou refusent de se saisir en fonction de leurs cultures, de leurs intérêts, des sollicitations, des contraintes, des opportunités de la société. Comme l’exprime Jacobs Michael le développement durable est un concept contestable. Il existe un accord au premier niveau lorsqu’il s’agit d’énoncer des enjeux et des objectifs. Par contre, il est l’objet de contestations lorsque des arguments sont déployés à propos de l’interprétation du concept en pratique.
D’une manière ou d’une autre chacun éclaire l’objet. Ainsi sont créées des zones de lumière et des zones d’ombre. Cette multitude de manières de se saisir de l’objet et de l’éclairer nous demande un double travail :
Analyser pourquoi nous abordons le développement durable par tel éclairage plutôt que par tel autre et en conséquence analyser la nature des zones que nous laissons dans l’ombre.
Travailler à la compréhension de la manière dont les autres créent des zones de lumière et des zones d’ombre.
Ce double travail devrait être l’objet de démarches d’apprentissage en commun au niveau local. De cet effort de compréhension pourrait naître une culture commune capable d’aborder les intérêts contradictoires dans une perspective créatrice. Au cœur de la démocratie, les nombreuses formes de débat public sont les lieux du croisement des différents éclairages. En accompagnement du débat public, l’information, la sensibilisation, l’éducation permanente, la formation continue, concourent à rendre chacun d’entre nous plus à même de trouver sa place pour contribuer à la solidité des fondations « responsabilité - participation ».
Si nous voulons échapper à une idéologie globalisante, imposée au nom de l’urgence par l’économique et les techno sciences, il est temps de remettre le politique en capacité de décliner « l’optimisme du cœur et de la volonté » en mesures concrètes.